
Cet article est le premier d’une série consacrée à l’analyse des investissements programmés, avec l’objectif d’en explorer les avantages, les limites, et des pistes d’amélioration.
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La formule universelle à l’épreuve des faits
Dans le monde de l’investissement, peu de stratégies séduisent par leur simplicité autant que les placements programmés, connus aux États-Unis sous le nom de « Dollar Cost Averaging » ou ‘DCA‘. En 1947, Lucile Tomlinson, autrice de Successful Investing Formulas, affirmait avec assurance : « Personne n’a encore découvert une autre formule d’investissement qui puisse être employée avec autant de confiance dans la réussite finale, quoi qu’il puisse arriver au cours des actions. » À une époque marquée par l’incertitude économique, cette approche, qui consiste à investir une somme fixe régulièrement pour lisser les fluctuations du marché, semblait révolutionnaire. Pourtant, aussi séduisante soit-elle, la stratégie de Tomlinson n’est pas dénuée de complexités. Des frais de transaction aux choix des actifs, en passant par les aléas des conditions économiques, le « Placement programmé » exige une réflexion approfondie pour porter ses fruits. Ce premier article explore les promesses et les limites de cette méthode intemporelle, pour aider les investisseurs à naviguer avec prudence et efficacité.
Analyse historique des rendements des placements programmés sur l’indice CAC 40 GR (dividendes réinvestis) : que valent ils sur 5 ans ?
Méthode utilisée : tranches glissantes de 5 ans
L’analyse repose sur les données de clôture quotidiennes de l’indice CAC 40 GR, couvrant la période du 4 janvier 1988 au 30 avril 2025. Pour chaque type de placement (mensuel, trimestriel, semestriel, annuel, et unique), les rendements annualisés sont calculés sur des tranches mobiles (glissantes) de 5 ans, recalculées chaque mois (comme janvier 1988 –> décembre 1992, février 1988 –> janvier 1993, etc.), soit un total de 389 périodes d’investissement de 5 ans. Cette approche permet d’évaluer les performances et la volatilité de chaque méthode d’investissement de façon robuste.
Chaque période compare :
- un placement unique au départ sur l’indice CAC 40 GR,
- des versements programmés réguliers tous les mois, trimestres, semestres ou ans.
Chaque stratégie est évaluée selon trois critères :
- Rendement annualisé sur la période de 5 ans.
- Volatilité des rendements annualisés
- Montant de sortie final, en tenant compte du rythme des versements.
Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des rendements annualisés obtenus pour chaque stratégie d’investissement sur l’ensemble des 389 périodes de 5 ans analysées.

périodicités, comparés au rendement quinquennal annualisé d’un placement unique
sur le CAC 40 GR
Résultats moyens
(La volatilité mesure l’ampleur des variations du prix d’un actif. Plus la volatilité est élevée, plus les prix montent ou baissent fortement)
Périodicité du placement | Rendement moyen | Volatilité (Ecart type) |
Mensuelle | 8,32 % | 9,92 % |
Trimestrielle | 8,32 % | 9,80 % |
Semestrielle | 8,30 % | 9,62 % |
Annuelle | 8,27 % | 9,31 % |
Placement unique | 7,93 % | 8,18 % |
Ici, la volatilité indiquée pour chaque périodicité, correspond à l’écart type des rendements annuels calculés sur toutes les périodes glissantes de 5 ans.
Ces chiffres montrent clairement que, en moyenne, les placements programmés surpassent légèrement le placement unique en termes de rendement annualisé, et ce, pour toutes les périodicités observées. La performance moyenne oscille autour de 8,3 % pour les placements programmés contre 7,9 % pour le placement unique.
Une volatilité plus élevée pour les versements programmés
Contrairement à une idée reçue souvent relayée dans les publications financières, les placements programmés ne sont pas moins volatils. Au contraire, les écarts types des rendements annuels sur 5 ans montrent que les investissements réguliers présentent une variabilité plus forte que le placement unique, et cette variabilité diminue lorsque la fréquence du versement diminue.
Par exemple :
L’écart type du placement mensuel atteint 9,92 %,
Tandis que celui du placement unique est de 8,18 % et présente le meilleur couple rendement/risque si l’on se fie au ratio de Sharpe potentiel (non calculé ici, mais implicite via le rapport Rendement moyen/volatilité).
Comment évoluent les volatilités
Le graphique suivant illustre l’évolution de la volatilité des rendements annualisés sur l’indice CAC 40 GR, calculée sur des tranches glissantes de 2 ans, mises à jour chaque mois, pour les différentes périodicités (mensuelle, trimestrielle, semestrielle, annuelle) ainsi que pour un placement unique sur 5 ans.

pour les différentes périodicités, sur le CAC 40 GR
Points d’observation :
- Structure commune des pics de volatilité :
Toutes les courbes suivent des tendances similaires, avec des pics marqués autour des périodes de tensions sur les marchés :- 1998 (crise asiatique et russe)
- 2002 (conséquences de l’éclatement de la bulle Internet)
- 2008–2009 (crise financière mondiale)
- 2011–2012 (crise des dettes souveraines en zone euro)
- 2020 (choc COVID-19)
- Amplitude des pics :
Lors des épisodes de forte instabilité (notamment 2002 et 2009), les placements programmés affichent une volatilité plus élevée que le placement unique, avec un écart net. Cela indique que, dans certains contextes, l’investissement échelonné n’amortit pas systématiquement la volatilité. - Tendance générale post-2015 :
À partir de 2015, toutes les courbes convergent vers des niveaux de volatilité plus faibles. Les différences entre les types de placements deviennent alors marginales, traduisant un environnement de marché globalement plus stable sur cette période. - Rang relatif des stratégies :
La volatilité des placements programmés suit un ordre cohérent selon la fréquence des versements :- Les investissements mensuels (courbe bleue) affichent souvent la volatilité la plus élevée,
- Suivis par les trimestriels, semestriels, puis annuels,
- Le placement unique reste souvent en retrait (volatilité plus basse), mais pas systématiquement.
Pour conclure sur la volatilité :
Sur l’ensemble de la période étudiée, le placement unique ne présente pas toujours la volatilité la plus élevée. Au contraire, dans plusieurs phases de marché instable, les stratégies de versements progressifs peuvent exposer à une volatilité plus importante. Cela montre que la régularité des versements ne garantit pas nécessairement une réduction de la volatilité, du moins sur des horizons de l’ordre de 5 ans. Toutefois, les écarts entre les courbes tendent à s’atténuer dans les périodes calmes.
Un paradoxe apparent à souligner
Malgré ces rendements meilleurs en moyenne, les montants de sortie des placements programmés restent inférieurs à ceux du placement unique. Cela s’explique par la moindre durée d’exposition au marché de chaque versement.
Voici un exemple sur un investissement de 60 000 €, réparti différemment selon la périodicité :
Périodicité | Versements totaux | Montant final | Rendement annualisé |
Mensuelle | 60 × 1 000 € | 74 012 € | 8,32 % |
Trimestrielle | 20 × 3 000 € | 74 490 € | 8,32 % |
Semestrielle | 10 × 6 000 € | 75 209 € | 8,30 % |
Annuelle | 5 × 12 000 € | 76 638 € | 8,27 % |
Placement unique | 1 × 60 000 € | 87 870 € | 7,93 % |
Remarque : rendements annualisés arrondis à 2 décimales
Analyse de la distribution des rendements

La distribution des rendements annualisés des placements programmés, toutes périodicités confondues, présente une forme en cloche légèrement asymétrique. On observe que 81 % des cas aboutissent à un rendement supérieur à 0 % (zone verte), tandis que les rendements négatifs (zone rouge) représentent 19 % des situations, dont 0,77 % enregistrent une baisse supérieure à 15 %.
Le rendement le plus fréquent se situe dans l’intervalle [9 %; 12 %[, dans 21,47 % des cas. On note aussi une concentration notable dans les rendements compris entre 6 % et 12 %, avec une fréquence de 36 % et la probabilité d’obtenir un rendement supérieur à 15 % sur 5 ans s’établit à environ 13 %.
Il est frappant de constater que cette distribution est très proche de celle des placements uniques sur la même période, malgré des modes de constitution radicalement différents (investissement progressif vs. investissement initial unique). Cela confirme que les placements programmés permettent de capter une performance de marché, en rendement, tout à fait comparable sur le long terme.
Trois périodes emblématiques
Les résultats issus de tranches glissantes permettent d’identifier clairement certaines configurations de marché où le choix entre placement unique et investissement progressif fait une vraie différence.
Mars 1995 – Février 2000 : des performances similaires

Ce quinquennat se déroule dans un marché haussier fort et progressif, ponctué de creux exploitables.
Périodicité | Versements totaux | Montant final | Rendement annualisé de mars 1995 à février 2000 |
Mensuelle | 60 × 1 000 € | 144 835 € | +36,14 % |
Trimestrielle | 20 × 3 000 € | 148 663 € | +36,16 % |
Semestrielle | 10 × 6 000 € | 153 525 € | +35,93 % |
Annuelle | 5 × 12 000 € | 159 000 € | +34,47 % |
Placement unique | 1 × 60 000 € | 233 686 € | +31,25 % |
Dans ce contexte favorable, l’investissement progressif permet de lisser les achats, profitant des replis (exemple de la crise de 1998) pour renforcer à meilleur prix, et rivaliser avec le placement unique en termes de rendement.
Avril 1998 – Mars 2003 : les placements programmés en difficulté

Cette période comprend la fin de la bulle internet (forte hausse en 1998-1999) suivie d’un long krach (2000-2002). Le placement unique, effectué au début de la période, a capté la majeure partie de la hausse initiale, alors que les investissements progressifs ont continué à acheter en phase de hausse, au sommet et pendant la baisse, aggravant les pertes.
Périodicité | Versements totaux | Montant final | Rendement annualisé d’avril 1998 à mars 2003 |
Mensuelle | 60 × 1 000 € | 37 247 € | -18,50 % |
Trimestrielle | 20 × 3 000 € | 37 440 € | -17,68 % |
Semestrielle | 10 × 6 000 € | 39 382 € | -15,04 % |
Annuelle | 5 × 12 000 € | 35 795 € | -16,75 % |
Placement unique | 1 × 60 000 € | 44 811 € | -5,67 % |
Ici, le placement progressif ne profite pas pleinement de la forte hausse initiale, et se trouve donc plus exposé à la phase de déclin prolongé. Il aboutit à des rendements négatifs bien plus marqués.
Juin 2008 – Mai 2013 : avantage marqué aux placements programmés

Durant cette période de 5 ans, marquée par la crise financière mondiale de 2008 suivie d’une reprise irrégulière, le placement unique affiche un rendement annualisé négatif pénalisé par un point d’entrée défavorable juste avant le krach.
Périodicité | Versements totaux | Montant final | Rendement annualisé de juin 2008 à mai 2013 |
Mensuelle | 60 × 1 000 € | 74 538 € | 8,61 % |
Trimestrielle | 20 × 3 000 € | 75 272 € | 8,72 % |
Semestrielle | 10 × 6 000 € | 75 395 € | 8,40 % |
Annuelle | 5 × 12 000 € | 73 266 € | 6,73 % |
Placement unique | 1 × 60 000 € | 58 845 € | -0,39 % |
À l’inverse, toutes les stratégies de placement programmé s’en sortent nettement mieux. Le lissage des points d’entrée sur plusieurs années a permis de capter la reprise progressive du marché après la chute initiale, améliorant significativement les performances.
Cette période illustre parfaitement l’intérêt d’une approche progressive en période de crise, notamment lorsque l’investissement débute au début d’un marché baissier.
Conclusion
L’analyse historique menée sur le CAC 40 GR entre 1988 et 2025 met en lumière les atouts et les limites des placements programmés sur un horizon de 5 ans. Contrairement aux idées reçues, ces stratégies n’offrent pas systématiquement une volatilité plus faible que le placement unique. Elles affichent en réalité une volatilité moyenne plus élevée, ce qui invite à relativiser leur supposée « sécurité psychologique ». En revanche, elles montrent une légère surperformance en rendement annualisé sur l’ensemble des 389 périodes analysées.
- Rendement moyen annualisé : environ 8,3 % pour les versements programmés (quelle que soit la fréquence) contre 7,93 % pour le placement unique.
- Volatilité : plus élevée pour les investissements programmés, en particulier mensuels, ce qui peut surprendre les investisseurs à la recherche de stabilité.
- Montant final : en moyenne, à effort d’investissement égal (60 000 €), les placements programmés génèrent des montants de sortie compris entre 74 012 € et 76 638 €, contre 87 870 € pour le placement unique. Cette différence s’explique par la durée d’exposition au marché : dans le cas du placement unique, la totalité du capital est investie dès le départ, bénéficiant pleinement des hausses du marché sur l’ensemble de la période.
En revanche, les versements programmés, étalés dans le temps, ont une durée d’exposition moyenne plus courte, ce qui limite leur potentiel de croissance. Toutefois, cette approche permet de lisser les points d’entrée, réduisant ainsi le risque au cours des périodes défavorables.
L’étude de trois périodes emblématiques montre que le timing d’entrée reste déterminant, même dans une stratégie progressive. En période de forte hausse (1995–2000), les deux approches se valent en rendement. Entre 1998 et 2003, le marché a d’abord connu une progression, suivie d’un repli sous son point de départ. Dans ce contexte en deux temps, un placement unique effectué avant la hausse initiale s’en sort mieux que des versements programmés, qui continuent d’investir pendant la phase de hausse. Mais à l’inverse, dans les contextes de crise suivis de reprise (2008–2013), les placements programmés prennent clairement l’avantage, en permettant d’acheter à bas prix pendant la descente.
En résumé :
- Le placement unique maximise le rendement si le point d’entrée est bien choisi. Il est aussi moins volatil en moyenne.
- Les placements programmés offrent une forme de résilience, surtout en période incertaine, au prix d’une volatilité plus forte et d’un rendement qui n’est supérieur qu’en moyenne, mais de peu.
Ni miracle, ni piège, le placement programmé constitue une approche intéressante, en particulier pour les investisseurs réguliers ou ceux qui préfèrent lisser leur effort d’épargne dans le temps. Il aboutit le plus souvent à un rendement positif. Mais cette méthode ne dispense pas d’une réflexion de fond : elle n’élimine pas le risque. Comme tout outil d’investissement, elle mérite d’être comprise, plutôt que simplement adoptée.
A.Z.
Historique des mises à jour
– 28 mai 2025 : ajout des montants finaux pour les périodes emblématiques et d’une analyse de la distribution des rendements sur 5 ans.
– 30 mai 2025 : modification du dernier paragraphe de la conclusion.
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